K
exposition du 01.12 jusqu'au 17.12.2018
École des Beaux-Arts de Paris
(Paris, France)
mezzanine
rez-de-chaussée
Vidéo 4K, son | 136’, boucle
Kaliningrad, 2015
video intro
K, 2018
Impression numérique, contrecollée sur linoléum
≈ 5x3,5m
Album | vues d'avant-guerre de Königsberg et d'autres villes de la Prusse Orientale | reproductions photographiques réalisées à partir de livres et de cartes postales allemandes, tirages argentiques originaux | années 1970 | archive privée
Vues d'avant-guerre de Königsberg, reproductions photographiques réalisées à partir de livres et de cartes postales allemandes, tirages argentiques originaux | années 1970-1980 | archive privée
K comme Mirage
Vingt jours sans guerre | Alekseï Guerman | 101’, extrait de 1’23’’ | 1976 | URSS
Gosfilmofond
K comme Ennemi
Images issues des annonces particulières de vente de matériaux, prélevées des maisons allemandes démontées source : www. avito.ru
Impression numérique sur papier adhésif | 250 x 370 cm
2018
K comme Carrière
Objet trouvé
collection particulière
K comme Pompéi
Drame, 2018
Titres d'articles de presse, dédiés au château royal de Königsberg et à la Maison des Soviets, assemblés chronologiquement en deux colonnes, et mis en page comme une pièce de théâtre.
impression jet d'encre
K comme Château en Espagne
Captures d'écran | sélection de publications Facebook de Mikołaj Troniewski, parues entre 2014 et 2018
Impressions numérique contrecollées sur plexiglas
K comme arrière-cour
Vidéo 4K, son | 5’40’’ Kaliningrad 2015
video epilog
Impact, 2015
vidéo 4K, son | 7’, boucle
K comme Paysage avec ruine
K - édition
1.
Kaliningrad a hérité de Königsberg un vaste réseau de tramways. Entre 1895, année du lancement de la première ligne à Königsberg, et 1945, on le voit couramment parcourir les rues sur les photographies, les cartes postales et même des images filmées. En étudiant les chroniques documentaires allemandes, j’ai découvert quelques plans du centre-ville réalisés en travelling depuis un tramway en marche. J’ai voulu réutiliser le tramway pour filmer le paysage du Kaliningrad contemporain.
Parmi les 3 itinéraires qui fonctionnent encore aujourd’hui j’ai choisi le plus long, celui qui parcourt toute la ville en passant par la place Centrale. J’ai filmé tout le trajet, aller et retour, en un plan séquence. Le film est une boucle complète qui embrasse le paysage du centre-ville par l’image en mouvement : en deux heures et quart environ le film revient au point de départ et repart à nouveau.
2.
Assemblage de vues aériennes de la place Centrale de Kaliningrad, située à l’emplacement de l’ancien centre-ville.
Depuis la destruction du château de Königsberg en 1968, la question du devenir du centre-ville n’a jamais été résolue. La tentative d’ériger à la place du château une nouvelle dominante symbolique – la Maison des Soviets – fut un échec. La place Centrale, cette étendue grandiose et déserte qui a remplacé l’ancien Altstadt, demeure depuis plusieurs décennies en l’état, flottant entre chantier et terrain vague.
Le millefeuille d’images, superposées les unes sur les autres, est constitué de 118 prises de vue photographiques, réalisées par un drone avec un logiciel spécifique destiné au relevé de terrain.
3.
Jusque dans les années 1990 les images de Königsberg étaient quasiment inaccessibles à Kaliningrad, leur possession faisait même à certaines périodes l’objet de poursuites. « Königsberg en 144 vues », publié en Allemagne pour la première fois en 1955, a été le premier livre à révéler la ville d’avant-guerre aux habitants du Kaliningrad soviétique. Via les pages de ce livre, les nouveaux venus ont hérité d’une nostalgie de la ville qu’ils n’ont jamais connu, mêlée d’amertume de sa perte. Arrivé à Kaliningrad dans les années 1960, il a circulé clandestinement dans des cercles d’amateurs, ses pages ont été rephotographiées et développées dans des labos photo domestiques. Les descriptions en allemand accompagnant les images ont été soigneusement traduites en russe et retapées à la machine à écrire.
4.
Le désir de « table rase » stipulé par la propagande soviétique, se réalise avec une série de destructions idéologiques. Toute manifestation de « l’allemand » est perçue comme élément étranger et hostile. Ainsi la vie nouvelle renonce au passé, commence à zéro.
Cette attitude destructrice échappe en général à la documentation officielle. Les démolitions passées sous silence ne sont pas affichées, ni archivées. Curieusement, c’est le cinéma soviétique de fiction qui a produit malgré lui les meilleures preuves de cette relation au patrimoine bâti. Dans les premières années de l’après-guerre les cinéastes se sont précipités dans la région de Kaliningrad pour tourner les films de guerre dans le décor naturel de l’Allemagne en ruines. Les cas de destructions réelles n’étaient pas rares. La scène présentée est issue du film «Vingt jours sans guerre», pour laquelle un mur du château Ragnit, échappé aux destructions de guerre, a été détruit par explosion devant la caméra.
5.
Le pillage généralisé de la région commence dès 1946 lorsque les bâtiments du centre de Königsberg touchés par les destructions, sont démontés pour fournir en briques d’autres villes de l’URSS qui manquent alors de matériaux de construction. Aujourd’hui, dans la zone rurale les maisons continuent à disparaitre à vue d’œil, alors que les sites Internet abondent d’annonces de vente de briques et de tuiles allemandes « de seconde main ». Lorsque les éléments fonctionnels et décoratifs les plus précieux sont prélevés, la maison est soigneusement démontée et redistribuée entre les palettes de transport spécifiques : brique, tuiles, poutres. En effet toute construction est a priori perçue comme une carrière de matériaux utiles.
La collection d’images assemblées au mur en un large rectangle vient de www.avito.ru - le site d’annonces entre particuliers le plus populaire en Russie. Elles sont organisées en un dégradé, allant du haut vers le bas, évoquant le processus de démontage – aux rangées supérieures on voit les bâtiments qui sont encore debout mais déjà proposées pour le démontage, le dégradé s’arrête au niveau du sol avec les images où on ne voit qu’un fragment, une particule, vue en close-up : une brique, une tuile.
6.
Lorsque la population allemande quittait la Prusse Orientale entre 1944 et 1945, certaines familles ont enterré leurs biens dans l’espoir de revenir un jour et de les retrouver. Ces cachettes sont très recherchées aujourd’hui par les «creuseurs», appelés aussi parfois « archéologues noirs ».
Si cette activité est formellement illégale, en réalité la police ne fait rien pour empêcher ces pratiques. Les «creuseurs» équipés de pelles et de détecteurs de métaux sondent les champs et les forêts sur les sites de batailles militaires ou dans les anciens lotissements, en espérant y trouver des choses précieuses. Les vidéos d’excavations à la sauvette circulent librement sur internet.
8.
L’intrigue du devenir du terrain vague de la place Centrale se joue depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, entre deux acteurs principaux : La Maison des Soviets, inachevée et laissée à l’abandon depuis les années 1980, et le Château royal de Königsberg, jadis situé sur le même terrain à quelques centaines de mètres, détruit en 1968, qui hante désormais l’imagination des habitants du Kaliningrad moderne. Ce couple antagoniste est au centre de débats publics et privés, sur les réseaux sociaux et dans la presse, avide de sensations. Au cours de mon enquête j’ai été témoin de différents rebondissements dans cette intrigue, digne d’une dramaturgie d’une pièce de théâtre absurde. J’ai commencé à m’intéresser au titres des articles de presse, qui ont souvent le même schéma : au début il y a le nom ou le statut du «protagoniste» de l’article – architecte, maire de la ville, expert, personnalité publique − suivi d’un bref résumé de son propos.
Les titres des articles sont retranscrits chronologiquement, dans l’ordre de leur parution, s’unissant dans une sorte de pièce de théâtre ready made. Ils sont divisés en trois groupes, signifiés par la taille de la police et la mise en page : les énoncés à la première personne, les protagonistes ; les énoncés anonymes; les chœurs, lorsque le titre évoque plutôt une exclamation ou un commentaire d’une collectivité.
9.
Un habitant de Kaliningrad, Nikolaï Tronevski, photographe engagé et ethnographe amateur, invente l’état de Spandin et s’en proclame maire. Spandin vient de l’allemand Spandinen, nom du quartier le plus défavorisé de Königsberg dont il a hérité la mauvaise réputation à l’époque de l’URSS. Pour Tronevski cette appellation résume la situation actuelle dans l’enclave ; tout en la dénonçant, il la tourne en dérision. Tronevski raconte le quotidien de Spandin sur sa page personnelle sur facebook, en annotant ces prises de vue par les commentaires sarcastiques qui pointent avec justesse les problèmes locaux.
11.
La vidéo est un plan fixe mis en boucle. Lumière faible, ombres incertaines, sons rares de voitures : le paysage se révèle par fragments, brouillant les indices spatiaux du lieu où il se produit.
La caméra fixe une surface de verre, frontallement.
Les lumières blanches et rouges des phares des voitures qui passent se réfractent, s’accrochant aux fissures. Les étincelles fugitives retracent le dessin en toile d’araignée d’une vitre brisée. Nous sommes dans la cage d’escalier d’un immeuble, face à une fenêtre criblée d’impacts de balles. Nous sommes dans le centre-ville de Kaliningrad, 12 rue Gorky, en avril 2015. On ignore l’origine de ces marques sur la vitre, la vraie histoire demeure inconnue, elle devient donc une des histoires possibles. L’abstraction du cadre tend vers diverses associations, balançant entre contemplation et anxiété. Le calme et l’agression, le quotidien et la guerre fusionnent et coexistent dans cette image, superposée comme un filtre sur la vue.
Vimeo : https://vimeo.com/148272904
12.
K-édition : coffret de 8 cahiers, complémentaire de K-exhibition.